Péréquation de marge… Masse de marge… En tant que marque passant par la grande distribution, comprendre ce qui se cache derrière ces mots pourrait bien vous aider dans les négociations annuelles.
Aujourd’hui, Sidely vulgarise deux techniques de stratégie financière utilisées par les enseignes afin d'accroître leurs bénéfices !
La masse de marge n’est rien d’autre que la marge totale réalisée sur une référence produit, un rayon ou même un supermarché. On peut la calculer en faisant la somme des bénéfices qui découlent de toutes les ventes du produit, rayon ou point de vente concerné, sur une période donnée.
Mais alors, quel intérêt ?
Ce résultat intéresse tout particulièrement les acteurs de la grande distribution, qui savent que le taux de marge en lui-même est un indicateur insuffisant pour évaluer les profits générés sur un produit. En effet, le taux de marge évalue la rentabilité potentielle d’un article, mais pas les bénéfices que l’enseigne va réaliser sur ses ventes, qui dépendent également du volume de ventes.
C’est pourquoi les enseignes et magasins sont parfois prêts à réduire leur marge unitaire, si cela peut leur permettre de vendre plus de produits et ainsi augmenter leur masse de marge, c’est-à-dire leur bénéfice total.
Par exemple, supposons qu'un produit ait une marge unitaire de 10 € et qu'il se vende à 1 000 unités par mois, générant ainsi une masse de marge de 10 000 € (10 € de marge unitaire x 1 000 unités). Si le distributeur décide de baisser le prix de vente de ce produit, ce qui réduit la marge unitaire à 8 €, mais augmente les ventes à 1 500 unités par mois, la masse de marge totale sera alors de 12 000 € (8 € de marge unitaire x 1500 unités).
La marge unitaire a baissé, mais la marge totale, ou masse de marge, a augmenté.
Avant de comprendre comment les enseignes déterminent les taux de marge, commençons par comprendre quels sont les facteurs qui déclenchent cette pression sur les prix.
Si les distributeurs modulent leurs marges afin de faire augmenter les volumes de ventes, c’est qu’ils sont sous la pression de trois types d’acteurs : les clients, les concurrents, et les fournisseurs.
Prenons un exemple. Si on considère que les habitants d’une région ont en tête un prix psychologique pour la bouteille d’un litre de Coca Cola, il est peu probable qu’ils acceptent sans broncher une variation de 20% en passant d’un point de vente à l’autre. Ce phénomène exerce une double pression : celle du prix psychologique, et celle des prix pratiqués par la concurrence. A noter que Coca Cola fait partie de ces grandes marques qui sont suffisamment puissantes pour pousser leurs distributeurs à limiter drastiquement leur taux de marge. Nouvelle pression donc, par les fournisseurs (c’est surtout le cas en distribution intensive).
Les distributeurs en tirent trois techniques de pricing :
Mais ces différentes techniques ne permettent pas toujours d’échapper aux contraintes du marché. Dans certains cas - certes rares - les distributeurs se retrouvent même à pratiquer des prix “subis”, du fait de ces jeux de pressions croisées.
Sauf que les géants de la distribution ont plus d’un tour dans leur sac, et pour s’y retrouver, ils utilisent une technique de management financier éprouvée : la péréquation de marge !
En règle générale, lorsqu’un distributeur baisse son taux de marge sur un produit ou un rayon, il tente de récupérer le manque à gagner (en taux de marge donc) sur d’autres articles. Ainsi, le taux de marge varie d’un produit à l’autre, le distributeur recherchant l’équilibre général qui maximise la masse de marge globale.
C’est la péréquation de marge : une technique qui consiste donc à répartir la marge de manière différenciée entre les produits, de manière à obtenir la configuration qui optimise le bénéfice global.
Historiquement, les premiers prix et les marques distributeurs permettaient aux enseignes d'accroître leur taux de marge moyen. Désormais, les nouvelles tendances et l'innovation peuvent également servir à réaliser des quotients beaucoup plus forts, comme l’explique Olivier Dauvers avec l’exemple des allumettes végétales.
Voyons maintenant comment un produit innovant permet au distributeur de déjouer nos trois facteurs de pression (clients, concurrents, fournisseurs) :
Voici comment la péréquation des marges permet d’optimiser la masse de marge : un distributeur peut baisser son taux de rentabilité sur un produit de grande consommation et compenser avec un taux de marge très élevé sur un produit de niche ou d’avenir (ou une marque distributeur).
Toute marque vendant ses produits en grande distribution a intérêt à comprendre ces mécaniques financières, car elles ont un impact énorme sur la rentabilité, l’assortiment, la compétitivité et même le merchandising.
Par ailleurs, lorsqu’il faut proposer un tarif client plus bas, il est courant que le distributeur tente de sauver sa marge en demandant au fournisseur de baisser la sienne.
Enfin, analyser ces stratégies de prix peut permettre aux marques de décrypter le positionnement des distributeurs lors des négociations annuelles (qui, sans cela, peut parfois paraître bien irrationnel !).
Les industriels peuvent ainsi aiguiser leurs techniques de négociation. Par exemple, la rétribution incluse dans la marge arrière peut être conditionnée au volume de ventes, avec l’application de paliers. Autrement dit, le fournisseur peut consentir à une modulation de sa rémunération en fonction des volumes de ventes qui auront été réalisés au cours de la période écoulée.
Le contrat de distribution doit alors décrire ces termes avec précision. Les marques ont cependant intérêt à se méfier de ces mécaniques, d’abord parce qu’elles font un pari financier sur l’avenir (quid des capacités financières à N+1 ?), ensuite parce qu’une baisse du prix de vente peut impacter l’image de certaines marques.
Notons que certaines marques ne sont pas étrangères à la pratique de la péréquation de marges, un exercice qui relève pleinement de la stratégie marketing. Ainsi, il est tout à fait possible de baisser son taux de marge sur un produit d’appel qui sert à faire connaître ou essayer la marque, et de le gonfler sur un produit complémentaire de manière à maximiser la masse de marge finale.
Pas folle la guêpe !