Alors que l’inflation incite les consommateurs à l’achat des produits les moins chers - et parfois en marque distributeur - de nombreux fournisseurs s’inquiètent de se voir partiellement ou totalement déréférencés des rayons de la grande distribution, faute d’accords sur les prix à l’issue des négociations annuelles.
Mais, si le niveau tarifaire est souvent le point de douleur qui oppose fournisseurs et distributeurs, d’autres causes peuvent être à l’origine d’un déréférencement. Comme toutes petites ou moyennes marques présentes en grande distribution, vous devez alors anticiper ces situations qui pourraient avoir de lourdes conséquences sur l’avenir de votre entreprise.
Le déréférencement en grande distribution est la décision d’une enseigne, d’une centrale d’achat ou d’un point de vente de cesser de vendre un ou plusieurs produits d’une marque. Le déréférencement est qualifié de partiel lorsqu’il s’applique à une référence produit uniquement, et de total si toute la marque (en d’autres termes tous les produits) se voit exclue de l'assortiment de l’enseigne ou du magasin concerné.
Le déréférencement par une enseigne peut avoir des répercussions significatives pour les marques, entraînant généralement une importante baisse du chiffre d'affaires. Cette décision peut être motivée par une performance commerciale insatisfaisante ou résulter d'un désaccord commercial, souvent lié au prix d'achat négocié entre le fabricant et le distributeur.
L'article L.442-6 du Code de commerce encadre le déréférencement abusif en interdisant la rupture injustifiée de relations commerciales établies. Il y est notamment interdit « D’obtenir ou de tenter d’obtenir, sous la menace d’une rupture brutale » totale ou partielle « des relations commerciales, des prix, des délais de paiement, des modalités de vente ou des conditions de coopération commerciale manifestement dérogatoires aux conditions générales de vente ».
Les enseignes sont ainsi devenues beaucoup plus prudentes quant au déréférencement de leurs fournisseurs et se conforment à une obligation de préavis raisonnable proportionnelle à l’historique de la relation commerciale, et destinée à permettre au fournisseur de préparer sa reconversion. Le non-respect de cette clause peut donner lieu à une réparation financière équivalente décidée par le juge. Dans le cas d’une MDD, ce délai est doublé. Enfin, la baisse significative des volumes commandés peut être interprétée par le juge comme un acte de déréférencement, même si les produits n’ont pas totalement quitté les rayons de l’enseigne.
Dans les faits, les marques hésitent généralement à intenter des actions judiciaires, car l’espoir d’une réparation financière fait rarement le poids face à un rétablissement de la collaboration.
Malgré l’encadrement juridique décrit plus haut, le déréférencement reste donc un levier de persuasion massif à la disposition des distributeurs en période de négociation annuelle. Le raccourcissement des délais depuis la Loi Bruno Le Maire accentue encore la pression sur les marques. L'inflation pousse ainsi les distributeurs à mettre les marques nationales et internationales sous pression pour obtenir les meilleurs prix. On se souvient notamment de Système U qui avait déréférencé Procter & Gamble en 2023. En 2024, c’est le déréférencement de Pepsico des rayons Carrefour qui fait grand bruit.
Mais le désaccord sur les prix, bien que central en période d’inflation, n’est pas le seul phénomène à l’origine du déréférencement.
En réalité, il existe de nombreuses raisons pour lesquelles votre marque peut risquer de perdre ses positions dans les linéaires des grandes et moyennes surfaces.
Des performances commerciales jugées trop faibles seront généralement pénalisées par vos partenaires commerciaux : si un produit ou une marque ne se vend pas suffisamment bien, l'enseigne peut choisir de le déréférencer pour libérer de l'espace en rayon au profit de produits plus rentables. Et pour cause, les rayons ne sont pas extensibles, dans un marché où le nombre de marques est croissant chaque année.
Dans cette logique de concurrence, l’innovation et les tendances du marché sont cruciales : si un produit ou une marque n'évolue pas aussi vite que les attentes des consommateurs, l'enseigne pourrait décider de le retirer pour faire place à des produits plus en phase avec les demandes actuelles.
Plus rares, les problèmes de qualité peuvent également jouer contre vous : rappels de produits, plaintes récurrentes des consommateurs ou défauts de fabrication entachent votre image de marque, mais également celle de votre distributeur. Celui-ci défendra sa réputation dans tous les cas. On peut notamment penser aux pizzas Buitoni, ou à moindre échelle, les lasagnes Findus.
Enfin, la stratégie de gamme des enseignes pèse lourd dans le choix des fournisseurs à sourcer : les distributeurs adaptent en effet leur assortiment de produits pour répondre de la manière la plus exhaustive à leur marché, aux changements saisonniers, mais également pour se démarquer de la concurrence. Le déréférencement peut faire partie d'une stratégie visant à renouveler l'offre et à attirer de nouveaux clients.
Notons que ces raisons sont souvent interconnectées, et la décision de déréférencer un produit ou une marque est généralement le résultat d'une évaluation globale prenant en compte plusieurs facteurs.
Dans le cas d'un réseau d'indépendants, la décision de déréférencer un produit repose souvent sur les discussions entre l'enseigne et chaque propriétaire de magasin. Ces derniers disposent en effet d’une relative autonomie dans le choix des produits à référencer dans leurs magasins, mais ils doivent également respecter les directives de l'enseigne.
Dans un réseau intégré, où les points de ventes sont directement gérés par l'enseigne, la décision de déréférencement provient généralement du siège social de l'entreprise. Les directives sont alors émises par la direction générale ou les équipes responsables des achats et de la gestion des assortiments.
Bien que la périodicité des négociations laisse penser que tout se joue sur une période réduite, les efforts à fournir par votre marque pour éviter d’être déréférencée doivent être permanents.
Il est ainsi possible de les regrouper en différents postes stratégiques :
Anticiper et éviter les situations de déréférencement demande beaucoup de ressources aux marques présentes en grande distribution : vision, audace, flexibilité… La direction à elle seule sera souvent en difficulté pour avoir une vue globale de la relation commerciale et du marché. Ainsi, un comité de direction, une task force stratégie ou tout groupe de travail peut aider à élaborer et suivre les pistes citées ci-dessus. Un seul objectif : rendre votre marque trop performante pour que votre distributeur envisage de l’exclure de ses rayons.